jamais plus non jamais plus 

 

tu ne retourneras dans cette ville où tu as traîné 

ton ennui nevermore  sans te retourner 

 

avec dédain tu lances 

la Terre 

 

y était après tout aussi inhabitable que la Lune 

tu respires enfin le vaste monde

 

bien vite tu embrasses à l’ombre des portes-cochères 

rue Gît-le-cœur tu bois du mauvais vin tache pourpre sur les lèvres tu lis 

et ta vie s’étend comme un drap blanc tes mains offertes 

pour saisir tout au vol 

c’est la cabane de l’enfant qui se dévoile

tu dévales les boulevards ivre 

sur ton vélo de course sans craindre le danger tête nue cavalcade 

 

insolente des rires

 

dans l’étroite chambre des jeunes filles en fleur 

une affiche de la  Dolce Vita &  cette enfance 

romaine comme une aigrette de diamants 

 

tu aimes

cet orgueil de reine sans royaume ce profil à la cigarette 

si fier le lys expose ses pistils 

exalte son énigme          tu pries l’amour vainqueur

 

tu te souviens du soleil de février sur les orangers la mousse du cappuccino sur la pulpe de grenade de la via Appia des thermes de Caracalla

les pins parasols étirent toujours leurs longs bras nus sous la Lune

 

tu es émue jusqu’au sang saisie par une poursuite      tu es en retard

et en avance sur la vie tu ne sais que faire de tous ces désirs 

furieux tu dois apprendre le métier de vivre 

oui tu restes souvent saisie par le trop-plein presque terrassée 

 

sans mot dire

 

place de la Bastille tu lèves une rose c’est la fièvre des premiers élans 

un monde s’ouvre et un autre se ferme dans la rue on hurle à la haine 

les drapeaux s’agitent sous tes fenêtres comme des gifles

 

sur les quais les projecteurs des péniches éclairent le rouge à son cou

la Seine laisse place à la Tamise un temple de briques accueille 

ton errance 

dehors 

la neige te retient avis de tempête dans ta poitrine 

 

tu lèves la tête et la voici qui te fait 

 

signe 

l’été approche vous flânez bras dessus-dessous 

sous les lampadaires un soir tu entres par effraction 

dans d’autres palais 

il te fallait alors réussir devenir quelqu’un 

qu’on daigne à te regarder enfin effacer ces sourires 

 

en coin tu travailles comme une acharnée 

à la fin

 

ton père pleure

 

la mer emplit la moitié de la fenêtre et l’autre moitié 

c’est le ciel duo de monochromes 

tu te réjouies la vie est 

 

douce 

tu aimes et tu es aimée que demander de plus

tu t’inventes un destin sprezzatura 

 

c’est la terreur à Paris tout se tait dans la nuit saturée

aux terrasses endeuillées une pensée longtemps 

te harasse le cœur nous nous croyions

invincibles la parenthèse se referme et la vie 

continue l’innocence 

de tes vingt ans te quitte 

debout la nuit tu ouvres les yeux pour chercher     

 

un éclair 

 

à New York

les sirènes sous tes fenêtres tambourinent 

tu crois mourir un nénuphar croît 

dans ton thorax

et croasse ton désespoir ou bien comprends-tu 

d’où vient l’expression « avoir mal au cœur » 

le stress jouxte la galerie des rêves 

stroboscopes

tu sillonnes la ville le ver est dans le fruit désemparée 

 

tu fuis 

 

tu es à Athènes tu bois du raki tu manges du fava avec des amis 

les graffitis parlent

toutes les langues tu ne sais pas encore que ces rues deviendront 

si familières (to spiti mou  d’une certaine manière)

vous palabrez sans fin dans tous les bars d’Exarcheia & de Psiri

la Méditerranée éclabousse les Balkans

les statues meurent aussi

sur un terrain vague à l’ombre de vieux dieux 

tu guettes 

l’épiphanie tu chemines vers tes épithètes

Syntagma signe désormais 

 

la défaite

pour quel armistice

 

tu te rappelles comme encore hier ce veilleur de nuit de Téhéran

plongé dans Proust à son petit bureau te donnera plus tard une amulette 

tu aimes sa mélancolie muette     lui aussi veut attraper le temps 

perdu te confie-t-il perché en haut de l’Alborz chauve 

 

sans sa neige 

 

la rue se transforme en champ de mine lacrymos pousses-au-crime 

l’été tu trouves ton île et ses trésors les oliviers se couvrent de feuilles de thé

bien vite à Kigali les papayes jutent sur ton menton à 6h le jour est cerné 

comme tes yeux qui imaginent les charniers

 

tu es dans la cité papale c’est un nouvel incendie 

deux jades au-dessus de joues tavelées     plus tard la cendre tombera du ciel

au même endroit que le « il était une fois »

 

pour refermer le livre

 

c’est le Caire et ses bras tentaculaires les palmiers poudrés par le désert te saluent 

bien bas leurs branches ploient sous les espoirs amendés on voulait changer la vie 

aujourd’hui place Tahrir seulement le damier du zahma

et les klaxons qui claironnent

 

Notre-Dame brûle les gargouilles vomissent leur plomb c’est beau

tu n’en crois pas tes yeux tout est si 

radieux cette fureur blonde 

comme peut-être l’enfer tu admires 

 

la lumière

 

un jour le monde se crispe 

(seras-tu un jour un autre aussi heureuse) 

couperet viral

un nouveau calendrier bientôt rivalisera avec le Christ

il y aura un avant & un après 

on s’en lave les mains 

(retrouveras-tu le refrain serein de ces matins) 

tu aimes les fenêtres ouvertes

les draps frais 

 

ci-gît la mondialisation tout dort

comme si l’univers entier était une vaste erreur

 

tout cela ne fut qu’un clignement de paupière

tu as ri & tu as pleuré 

face A tu as le cœur si lourd parfois

face B tu récoltes la joie que tu sèmes = tu es ravagée 

 

d’aimer

tu te voyages et dans ces lignes tracées tu te découvres un visage 

tu prends maquis de la solitude

cette lame de rasoir fouille ta blessure 

secrète

tu acceptes le multiple 

tu attends la bourrasque comme on espère

le printemps

tu voudrais tant garder cette fraîcheur 

 

des premières fois 

 

alors tu recommences 

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